Naviguer à travers l’information ESG : Survol des enjeux et des progrès

Article créé à partir de la présentation d’Olivier Houde au Grand Colloque l’IGOPP 2022. 

Depuis maintenant une quinzaine d’années, nous avons assisté à une croissance exponentielle de l’engouement du milieu financier pour l’investissement responsable. Cette croissance coïncide d’ailleurs avec la création des Principes de l’investissement responsable (PRI) en 2006 (PBI en est d’ailleurs signataire depuis 2008), une initiative soutenue dès sa création par l’Organisation des Nations Unies (ONU). En effet, le nombre de signataires n’a cessé de croître depuis ce temps comme en témoigne le graphique ci-dessous.

 

Figure 1 Source: PRI, URL: https://www.unpri.org/about-us/about-the-pri

Cette croissance ci-dessus illustrée est en soi un grand succès, où l’ensemble des acteurs de l’industrie financière ont su collaborer pour la création de principes pouvant servir de base à l’intégration de bonnes pratiques d’investissement responsable à l’intérieur même des modèles de gestion. La signature des PRI entraîne donc le respect obligatoire des six principes énoncés (https://www.unpri.org/about-us/what-are-the-principles-for-responsible-investment) et permet de s’assurer qu’un gestionnaire/détenteur d’actifs/fournisseur de services considère à tout le moins ceux-ci dans ses processus de gestion. Néanmoins, bien que les PRI servent d’une bonne base de travail, il reste énormément de flexibilité dans la manière de procéder et il ne s’agit selon nous que d’un premier pas vers l’intégration de l’ensemble des facteurs ESG au sein des portefeuilles de caisses de retraite. À la suite de la création des PRI, de nombreux types d’informations ont été rendus disponibles, notamment de fournisseurs externes. On peut penser par exemple aux cotes PRI, aux notes ESG, à l’intensité carbone, aux journaux de controverses et bien d’autres. Ces outils peuvent permettre à un comité de placement de jauger la qualité de l’intégration ESG d’un gestionnaire comparativement à ses pairs. Dans le tableau de gauche ci-dessous, un fonds commun est comparé selon des critères généraux de gouvernance, en actions publiques et en revenus fixes à la médiane de l’ensemble des signataires PRI. La comparaison peut aussi s’effectuer selon chacun des facteurs ESG en fonction de l’indice de référence, comme on peut le voir dans le tableau de droite.

Tout en étant présenté de façon sommaire, ce type de résultat peut permettre de cibler rapidement les forces et faiblesses d’un certain fonds et de questionner un gestionnaire de portefeuille en conséquence. Toutefois, de nombreux outils sont disponibles sur le marché et il devient difficile de s’y retrouver. Les études démontrent que ces outils sont décorrélés entre eux et donc que les notes ESG peuvent varier d’un outil à l’autre pour le même fonds ou titre. Non seulement plusieurs outils existent et se contredisent, mais la situation entraîne aussi un certain magasinage des gestionnaires, qui pourraient préférer un outil évaluant leurs fonds favorablement au détriment d’un autre. La rigueur des données sera donc le véritable cheval de bataille auquel la finance devra s’attaquer au cours des prochaines années.

 

Ce constat est d’autant plus évident lorsqu’on analyse plus en profondeur un processus de notation typique. Chaque outil possède évidemment ses particularités, mais les étapes se ressemblent tout de même de façon sommaire. Il est possible de constater ci-dessous que le chemin pour en arriver à la note finale d’un titre est relativement long et implique un jugement arbitraire de l’outil à plusieurs endroits (en rouge). Ces décisions ont notamment un impact sur le poids de plusieurs facteurs venant influencer directement la note ESG d’un titre (enjeux ciblés, exposition de l’entreprise, actions correctives et capacité des dirigeants à faire face à l’enjeu), tel que présenté ci-dessous.

 

En regardant de plus près le processus de notation, c’est sans aucune surprise qu’une décorrélation entre les outils ESG est constatée. L’absence de barème clair et précis en est la principale raison, ce qui rend les interprétations différentes. Il est même possible de faire un constat similaire avec une des mesures les plus répandues et développées de l’industrie telle que l’empreinte carbone. Il existe en effet plusieurs façons de calculer une empreinte carbone, et la manière choisie peut grandement influencer le résultat.

Le nombre de tonnes de CO2 émises en M$ investis sera par exemple beaucoup plus sensible aux valorisations boursières qu’en M$ de revenus. Il faut également faire attention au niveau de couverture de ce type de mesure. L’empreinte carbone sera divulguée par un plus grand nombre d’entreprises au sein des marchés développés que des marchés émergents. La prudence est de mise pour toute interprétation lorsque le niveau de couverture est faible. Souvent même, un ou deux titres seront responsables de la majorité des émissions d’un fonds commun.

ESG Carbone

En revanche, de belles avancées se remarquent au sein d’un secteur comme celui des revenus fixes. Des émetteurs importants et reconnus ont maintenant des cadres d’émission régis et vérifiés par des agences indépendantes permettant d’émettre des obligations vertes, sociales et durables. Tel que décrit ci‑dessous, ce type d’obligations permet de financer des projets orientés vers des enjeux ESG et offre du même coup un rendement intéressant, sans escompte par rapport aux obligations traditionnelles.

Graphique Obligations ESG

En somme, les outils ESG et les mesures disponibles (tel que l’empreinte carbone) ne sont pas parfaits, mais permettent de questionner les gestionnaires de portefeuille et les fournisseurs de service pour mieux comprendre de quelle façon ils intègrent les facteurs ESG dans leur processus de gestion. Ceux-ci ne peuvent plus se contenter d’être signataires PRI et doivent améliorer grandement la qualité de reddition de compte de ce point de vue. La demande des investisseurs, notamment des comités de placement de régimes de retraite, pour de l’information ESG doit être maintenue pour que la rigueur des données continue de s’améliorer. D’ailleurs, la route vers la « standardisation » est déjà bien entamée. La Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) sert de guide de divulgation aux entreprises depuis plusieurs années quant à l’information climatique (https://www.fsb-tcfd.org/) et de nouvelles normes émises par des organisations reconnues ont été ou seront divulguées, notamment du côté du CFA Institute (https://pbiactuarial.ca/fr/mise-a-jour-sur-les-normes-esg/) et de l’ISSB (https://www.ifrs.org/groups/international-sustainability-standards-board/). Sans aucun doute, ces avancées permettront d’amener l’intégration de l’investissement responsable encore plus loin et seront bénéfiques pour tous à terme.